Staphylocoque doré : décryptage d’une stratégie de résistance à certains antimicrobiens
La présence naturelle d’acides gras dans le corps humain favorise l’émergence de la résistance du staphylocoque doré à une classe d’antimicrobiens ciblant la voie de biosynthèse des acides gras bactériens. C’est ce que révèlent des chercheurs de l’Inra en collaboration avec l’Inserm, l’AP-HP (hôpital Cochin), l’Université Paris Descartes, l’Institut Pasteur et le CNRS dans un article publié le 5 octobre 2016 dans Nature Communications1. A l’heure où le développement de nouveaux antibiotiques est un objectif de recherche prioritaire, ces travaux montrent qu’il est essentiel d’étudier également l’adaptation évolutive des bactéries à ces molécules.
Le triclosan est un composé très largement utilisé dans les produits de beauté et d’hygiène (bains de bouche, dentifrices, crèmes hydratantes, gels douche) ou pour enduire les fils chirurgicaux. Il appartient à une famille de composés antimicrobiens qui inhibent la voie de biosynthèse des acides gras (dénommée FASII pour Fatty Acid Synthesis), éléments vitaux pour les bactéries. Cette molécule étant soupçonnée d’être un perturbateur endocrinien, la Commission européenne a, en 2016, retiré le triclosan de la liste des composés approuvés comme additifs dans des produits de Type 1 (produits d’hygiène)2. Les autorités sanitaires américaines (Food and Drug administration) ont également limité son utilisation en 2016 dans la fabrication des savons antibactériens3. Cependant, ce type de molécules constitue toujours une piste privilégiée pour le développement de nouveaux antibactériens.
En 2009, une étude associant l’Inra, l’Inserm, l’AP-HP (Hôpital Cochin), l’Université Paris Descartes, l’Institut Pasteur et le CNRS avait montré que les bactéries à Gram positif (des genres streptocoque, entérocoque et staphylocoque), sont capables de se développer lorsqu’ils sont en présence d’agents anti-FASII, en utilisant les acides gras présents dans le sang humain4. Cependant, la résistance aux anti-FASII du staphylocoque doré (Staphylococcus aureus), un pathogène humain majeur, restait controversée.
Les mêmes équipes ont donc étudié la croissance du staphylocoque doré dans des milieux de culture contenant des acides gras naturellement présents chez l’Homme ainsi que du triclosan. Ils ont montré que la présence des acides gras favorise l’apparition de souches résistantes par mutation (augmentation d’environ cent fois). Des staphylocoques résistants sélectionnés dans cette étude synthétisent normalement leurs propres acides gras en absence de triclosan, mais sont devenus capables d’incorporer efficacement ceux présents dans le milieu de croissance en présence de triclosan. Leur virulence est similaire à celle de la souche parentale sauvage ce qui suggère que le coût biologique de la mutation responsable de cette nouvelle capacité est faible. De fait, l’analyse des génomes de staphylocoques présents dans les bases de données a montré que cette mutation est déjà présente dans certains isolats cliniques qui se sont avérés être résistants au triclosan.
Notre peau, riche en acides gras, est naturellement colonisée par des bactéries, en particulier les staphylocoques. Elle pourrait donc constituer une niche favorable au développement de bactéries résistantes lors de l’utilisation d’un produit cosmétique ou d’hygiène contenant un anti-FASII comme le triclosan.
Ces travaux indiquent que le traitement d’infections staphylococciques par des inhibiteurs de FASII, ainsi que l’utilisation de produits cosmétiques ou d’hygiène qui en contiennent, peuvent conduire à l’émergence et/ou à la dissémination de souches de staphylocoques résistantes à ces antimicrobiens. Ils soulignent l’importance d’étudier, lors du développement de nouveaux agents antimicrobiens, l’adaptation évolutive des bactéries dans des conditions de croissance mimant les situations naturelles de colonisation ou d’infection, c’est-à-dire dans des milieux de culture contenant des acides gras humains.